Dans toute les différentes sortes de yoga, et parmi les principes théoriques leur servant de base, on rencontre tout d’abord l’Ahimsâ, la non-violence, donnée primordiale commune à tous les yogas, commune à toutes les formes de pensée indienne ( religieuse, philosophique, politique), tellement courante que l’on vient à n’en plus parler, c’est la pensée-mère, elle va de soi.
Elle va de soi pour l’hindou, mais pour l’occidental, Il n’a même pas de mot pour la nommer : il se sert de son contraire. Non-violence. C’est le plus souvent une donnée négative pour un esprit européen. Une attitude assez vague, que l’on cerne par des approximations verbales : faire le mort, opposer une résistance passive. C’est un état d’attente, peut-être une technique de faiblesse, surtout, ce n’est pas une tournure d’esprit active.
C’est là qu’une mise au point semble utile. La non-violence est un acte. Un acte constant, un choix continuel, un effort toujours soutenu pour ne pas se laisser prendre à l’attirance de la facilité : s’il amène un résultat rapide, l’acte violent s’accompagne souvent d’un sentiment de frustration, si ce n’est de dommages profonds.
Nous voilà donc nous, occidentaux toujours pressés d’agir, voire de recommencer plusieurs fois la même entreprise pourvu que notre affairement nous fasse croire à notre efficacité, nous voilà devant une prise de conscience étrangère : l’effort du choix.
Pour nous, faire un effort, c’est tendre volontairement toutes nos facultés pour vaincre une difficulté, mobiliser toutes nos capacités pour abattre l’obstacle. On dissocie rarement l’effort de la violence ( concentration des forces) et de la rapidité d’exécution ; soutenir cet état d’alarme générale dans un temps prolongé semble impensable.
Or, dans hatha yoga, on apprend à dissocier la notion d’effort de celle de violence, on apprend à choisir et à durer, on entre en contact d’une façon très simple, physique, primaire, avec la non-violence : on manie son propre corps dans un effort constant exempt de toute brutalité.
Tout apprenti normal se trouve aux prises, dans les débuts, avec deux difficultés bien distinctes. D’abord les obstacles physiques : manque de souplesse des muscles, ankylose des articulations ; quand il organise son corps dans une posture, une foule de limitations et de difficultés lui deviennent sensibles. C’est alors que monte vers lui la seconde vague de difficultés, d’ordre psychique cette fois : l’agacement devant ses inaptitudes mécaniques, l’envie rageuse de forcer l’obstacle brutalement, d’en finir au plus vite avec la douleur, de lâcher enfin la posture. Ces difficultés, d’ordre psychologique, sont les plus tenaces, difficiles à surmonter, surtout lorsque l’orgueil ( compétition avec soi-même) entre en jeu.
Or, en ne perdant de vue que le yoga est une éducation psychosomatique, on doit tout d’abord s’ôter définitivement de l’esprit l’envie de « casser » la difficulté physique, et plutôt tendre à la considérer comme un obstacle tout à fait normal, à sa place, presque utile. En effet, comment pourrait-elle ne pas être là, cette difficulté physique?
(extrait du livre de Eva Ruchpaul: Précis de Hatha Yoga, stade fondamental.)